Des policiers chinois en Hongrie, la tête de pont de l'influence de Pékin en Europe

La Chine qui envoie ses propres policiers dans un pays européen ? Ce n'est pas une fiction, la Hongrie est même volontaire. Viktor Orban veut renforcer son partenariat avec l'empire du milieu.
Article rédigé par Isabelle Labeyrie
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
Un officier de police chinoise à Zhengzhou, dans la province centrale du Henan, en Chine, en février 2018. (AFP)

Des policiers chinois en uniforme dans les quartiers touristiques ? C'est ce que vous verrez bientôt à Budapest. Ce dispositif, un peu passé inaperçu, est prévu dans l'accord de coopération sécuritaire que la Hongrie vient de signer avec la Chine, à l'occasion de la visite en février du ministre chinois de la Sécurité publique. À cette occasion Wang Xiaohong a évoqué un "nouveau point culminant" des relations sino-hongroises.

L'information a été révélée par Die Welt, un journal allemand. Pour l'instant le ministère de l'Intérieur hongrois ne fait que confirmer, sans préciser quand et où vont se déployer ces patrouilles, même s'il est probable qu'elles soient destinées à rassurer les touristes chinois, de plus en plus nombreux à visiter la Hongrie.

Aussi étonnante qu'elle soit, cette collaboration ne serait pas une première en Europe : entre 2015 et 2019, à Rome, Milan et Turin, on a déjà vu des patrouilles conjointes de policiers italiens et chinois. L'Italie a mis fin à cette collaboration, officiellement en raison du Covid. En réalité, c'est parce que l'on commençait à parler du scandale des commissariats secrets. Ces postes avancés au service de Pékin qui sous couvert d'aider les ressortissants chinois à régler leurs questions administratives, servaient à les surveiller et à faire pression sur les opposants de la diaspora.

La Hongrie et les "Nouvelles routes de la soie"

On a découvert ces commissariats secrets chinois en Italie, aux Pays-Bas, en France... et en Hongrie. Mais déjà, à l'époque, Budapest ne s'était pas autant indigné que les autres, visiblement pas inquiet du tout à l'idée de faire entrer le loup dans la bergerie. Mais bientôt, la Chine, l'autocratie la plus puissante du monde, pourra, en ayant accès à des citoyens dissidents vivant en Hongrie, pays de l'Union européenne, intensifier sa répression transnationale. C'est ce qui inquiète les ONG de défense des droits de l'homme.

Si la Hongrie tient autant à se rapprocher de la Chine, c'est d'abord par intérêt économique. Alors que les Européens cherchent à devenir moins dépendants de la deuxième économie mondiale, Viktor Orban, le Premier ministre, veut renforcer son partenariat. La Hongrie a ainsi été le premier pays de l'UE à adhérer à l'initiative chinoise des "Nouvelles routes de la soie", par laquelle Pékin veut accroître son influence grâce à des investissements étrangers (et dont l'Italie s'est retirée). En automne, Viktor Orbán a été le seul chef d'État de l'UE à participer à un forum sur le sujet à Pékin. Sa stratégie est de ne pas prendre parti, mais de devenir une sorte de pont entre la Chine et l'Occident - pour s'assurer des avantages et de l'influence.

La plaque tournante des voitures électriques

La Chine est d'ailleurs depuis peu le premier investisseur étranger dans le pays et la Hongrie, qui a misé depuis longtemps sur le secteur automobile, est en train de devenir la plaque tournante en Europe pour la production de véhicules électriques. La marque chinoise BYD, désormais numéro un du secteur devant Tesla, va y monter sa plus grande usine européenne et promet de créer mille emplois. Des fabricants chinois de batteries ont aussi annoncé de gros projets.

La Hongrie mise également sur le groupe de télécommunications chinois Huawei, considéré aux États-Unis comme un risque pour la sécurité, y compris pour un éventuel espionnage économique.

Viktor Orban, "l'ami de Pékin"

Sur le plan diplomatique, "l'ami de Pékin" (comme l'a surnommé Xi Jinping lorsqu'il l'a reçu en octobre) sait que son penchant pro-chinois va crisper Bruxelles et Washington, de la même manière que son soutien au président russe Vladimir Poutine ne passe pas chez les Occidentaux.

Mais l'autocrate, en quête de soutiens internationaux, est persuadé que l'avenir de la Hongrie se joue à l'est et qu'il a tout intérêt à soigner ses relations avec l'Empire du milieu. Budapest s'est par exemple toujours opposé aux résolutions européennes condamnant Pékin pour ses manquements aux droits de l'homme, positionnement intéressant pour la Chine.

L'apparition des policiers chinois est un gage de fidélité supplémentaire qui devrait aider Viktor Orban à gagner des points : le président chinois pourrait faire cette année sa première visite officielle sur les bords du Danube.

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